États-Unis : la délicate question du dopage au sein du baseball

Clément Comis
11 Aout 2013


La vedette des New York Yankees Alex Rodriguez, et 12 joueurs de la ligue nord-américaine de baseball ont été, cette semaine, suspendus pour un nombre record de matchs du fait de leur implication dans un nouveau scandale de dopage. Retour sur un problème récurrent dans un des sports les plus emblématique des États-Unis.


Cleveland Indians vs Boston Red Sox, Fenway Park, Boston, États-Unis / Crédit Photo – Antoine Boyet
Le joueur le mieux payé du championnat écopa finalement d’une suspension record de 211 matchs. C'est la plus lourde sanction dans le monde du baseball depuis le scandale des matchs truqués des Black Sox de Chicago, en 1919.

L’enquête diligentée par la Ligue majeure de baseball (MLB) au mois de février dernier a dévoilé la liste des clients d’une clinique anti-âge du sud de la Floride, Biogenesis. Soupçonnée d’être en réalité une plateforme de distribution de produits dopants, la clinique aurait fourni de nombreux sportifs professionnels. Parmi eux, des joueurs de renommée du championnat américain sont accusés de dopage aux hormones de croissance ou aux stéroïdes anabolisants.

À la lumière de ces révélations, le monde du baseball a dépassé le stade où il découvrait ingénument des cas de dopage. Personne n'a été scandalisé, ou même très surpris de découvrir que Ryan Braun, Alex Rodriguez et environ 18 autres joueurs-stars de la Ligue puissent avoir triché. Au lieu de cela, 25 ans après les premiers rapports de l'utilisation de stéroïdes dans le baseball, ces tempêtes médiatiques sur l’utilisation de produits dopants sont en fait des bonnes nouvelles pour ce sport. La sensibilisation est désormais universelle, et les efforts pour attraper les fraudeurs — par l’application de la loi, par les médias ou par les dépistages anti-drogue — sont régulièrement applaudis, permettant désormais à une culture de l'intolérance et de la punition d’exister.

Le vase clos nord-américain

Les quatre sports collectifs majeurs américains, le basketball, le baseball, le football américain, et le hockey sur glace fonctionnent de manière totalement indépendante du mouvement olympique. Dans ces sports, les États-Unis sont un véritable monde en soi. Les Américains considèrent les championnats nationaux de ces sports d'équipe comme étant des championnats du monde. Chacune de ces ligues est privée, en marge de toute fédération et organisation internationale.

Joueurs et officiels doivent traiter uniquement avec les règles de leurs organisations nationales et de celles du gouvernement américain. Seules celles-ci s’appliquent de plein droit. Les régulations et législations prises envers le dopage dans ces sports se sont développées indépendamment du mouvement olympique.

Un bénéfice financier certain

Contrairement aux athlètes d’autres sports, ces joueurs reconnaissent que ce qu'ils font est du  « business ». L’étude « Steroids and Major League Baseball » de l’Université de Berkeley, parue en 2007, mesure les conséquences économiques de l’utilisation de stéroïdes. L’augmentation des capacités sportives générée par la consommation de produits dopants en est la principale mesure. Une telle amélioration serait équivalente pour un joueur à une majoration de son salaire annuel de 2.08 millions de dollars, soit sur une carrière à un gain de plus de plus de 12.5 millions de dollars.

Il est aussi apparu que les joueurs n’étaient pas les seuls bénéficiaires du dopage. Franchises, médias et distributeurs ont tous, directement ou indirectement, bénéficié de l’augmentation des performances des joueurs. La valeur moyenne d’une franchise évoluant en MLB se serait élevée de 140 millions à 322 millions de dollars sur la période dite des stéroïdes de 1994 à 2004. Enfin, selon le modèle proposé par les chercheurs, inspiré par la théorie des jeux, aucun système de répression antidopage existant ne pourrait dissuader économiquement un joueur professionnel d’arrêter de consommer des stéroïdes, et ce avant un premier dépistage positif. Il sera en effet toujours plus rentable pour le sportif de payer une première amende trop faible ou d’être suspendu pour une durée minime que de ne pas se doper.

« Steroids and Major League Baseball », Mitchell Grossman, Université de Berkeley, 2007
Les auteurs de l’étude préconisent alors la création de politiques antidopage plus sévères autour de trois axes. Une augmentation radicale des sanctions en cas de premier test positif, conduit en parallèle de l’amélioration des méthodes de dépistage, réduirait l’intérêt économique de la fraude. Enfin, l’abandon de la politique de rémunération en fonction de la performance permettrait-il de freiner la course à la performance surhumaine.

La culture du dopage

Dans un rapport rendu public en 2004, l'ancien sénateur du Maine, George Mitchell, évoque un « usage illégal répandu de stéroïdes anabolisants et d'autres substances visant à améliorer la performance » au cours des douze dernières d'années au sein du baseball professionnel. Il s'agirait d'« un problème sérieux » qui « désavantage de façon injuste les athlètes honnêtes qui refusent d'avoir recours à des pratiques illégales » et « met en doute la validité de tous les records établis », et de toutes les statistiques accumulées.

En somme, le baseball a prêté le flanc à une véritable culture intensive du dopage à compter du début des années 90, qui a touché toutes les équipes sans exception. En tout, ce sont plus de 80 joueurs actuels et passés qui sont montrés du doigt par le rapport Mitchell.

Cet état de fait a des conséquences intéressantes pour la vision sur le dopage dans la littérature sociologique américaine. Dans l’ouvrage d’introduction à la sociologie du sport de l’américain Jay Coakley « Sport in Society »*, le dopage est traité presque exclusivement comme un problème dans les sports olympiques. Coakley n'analyse pas l'utilisation généralisée bien connue du dopage dans le sport professionnel et universitaire américain. Pendant longtemps l'usage du dopage dans ces sports collectifs a été une pratique courante.

C'est justement en 1990 que le gouvernement américain interdit définitivement la prescription de stéroïdes à des personnes en bonne santé. En Europe, cela avait été le cas depuis beaucoup plus longtemps. Jusque-là, dans la plupart des États américains, l'utilisation de stéroïdes anabolisants n'était ni contrôlée ni sanctionnée dans ces sports. La « Loi sur le contrôle des stéroïdes anabolisants » de 1990 en a fait un crime de vendre des stéroïdes à des fins non médicales, sous peine de cinq ans de prison. Mais la portée de cette législation a rapidement été écourtée. Les stéroïdes-précurseurs, y compris l'androstènedione — hormone stéroïde produisant de la testostérone — sont devenus disponibles en vente-libre comme compléments diététiques.

Après que le célèbre joueur de baseball Mark McGwire ait admis en 1998 qu'il avait utilisé un complément alimentaire contenant une substance stéroïde, les ventes de ce produit quintuplèrent. Le professeur John Hoberman concluait alors pour les États-Unis: « La couverture médiatique de l'histoire McGwire n'était que la dernière preuve de l'attitude fondamentalement tolérante de notre société envers le dopage »

Une lutte laborieuse

Au cours de l'histoire de la MLB, les contrôles antidopage n’avaient jamais vraiment soulevé de questionnement majeur. En 1991, le commissaire Fay Vincent a envoyé une note à toutes les équipes déclarant que l'utilisation de stéroïdes était contre les règles. Les rumeurs de l'utilisation répandue de stéroïdes chez les joueurs ont finalement commencé à exploser avec la révélation en 1998 que McGwire prenait de l’androstènedione, déclarant « Tout le monde que je connais dans le baseball utilise les mêmes substances que moi »

Les premières mesures de contrôle, dont les premiers tests obligatoires, furent mis en place en 2003 en réponse au scandale de dopage aux stéroïdes « BALCO ». Un premier dépistage positif pour usage de stéroïdes pouvait occasionner un traitement médical anonyme du sportif, un deuxième test une suspension de 15 jours ou une amende pouvant aller jusqu'à 10.000 dollars. La peine évoluait vers une suspension de 25 jours ou une amende pouvant aller jusqu'à 25.000 dollars pour un troisième test positif, une suspension de 50 jours ou une amende pouvant aller jusqu'à 50.000 dollars pour un quatrième test positif, et une suspension d'un an ou une amende pouvant aller jusqu'à 100.000 dollars pour un cinquième.

Le président de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) commenta la politique de la Ligue concernant les stéroïdes "Je pense que c'est une insulte à la lutte contre le dopage dans le sport, une insulte à l'intelligence du public américain et une insulte au jeu lui-même". À titre de comparaison, le Code mondial antidopage créé par l’Agence et adopté par la plupart des sports olympiques prévoit une suspension minimum de 2 ans pour un premier test positif, et une suspension à vie pour un second.

Ce n’est qu’en 2005 que la MLB promulgua de nouvelles règles, rapprochant sa politique antidopage des standards internationaux, avec des suspensions de 50 à 100 matchs, ou une suspension à vie.

Un pas en avant vers plus de transparence

Les intentions de la MLB depuis les derniers scandales ne font plus aucun doute pour la plupart des commentateurs. La ligue fait désormais figure de référence pour les autres ligues professionnelles nord-américaines. Un accord avec l’association des joueurs conclu en janvier 2013 d’élargir et d’améliorer significativement son programme antidopage. Désormais, des tests sanguins pour détecter les hormones de croissance humaine (hGH), seront effectués et cela tout au long de la saison.

En tout état de cause, les instances du baseball avaient jusqu’alors fermé les yeux sur la question des stéroïdes pendant plus de 15 ans. Le baseball n'a pas changé parce qu'il est déférent et noble, mais parce qu'il a été pris et que ses dérives ont été exposées.

Barry Bonds frappant le 7 aout 2007 son 756e Home-run, dépassant le record emblématique du baseball. Son nom apparaissait dans la liste des clients du laboratoire | Crédit Photo -- D.R.
En ce moment même, la Ligue nationale de football (NFL) est finalement forcée de faire face aux conséquences de son similaire laxisme en terme de politique antidopage. Avec les commotions cérébrales et les blessures dégénératives de ses joueurs à la retraite, l’espérance de vie moyenne d’un joueur professionnel de la NFL est de 55 ans.

La Ligue nationale de hockey sur glace, à la suite du scandale des révélations de la liste Mitchell, prévoit en 2006 un plan de lutte contre le dopage. Des contrôles sont alors mis en place durant la saison. Ils prévoient en cas de dépistage positif des sanctions de 20 matchs de suspension, 60 pour une récidive, ainsi qu’une suspension à vie pour une troisième transgression, mais avec le droit de demander de réintégrer la ligue après deux ans. Le programme est encore décrié pour ses négligences au niveau des méthodes des contrôles et de ses nombreuses imperfections.

Le président de l’AMA, Dick Pound, exprima alors ses doutes concernant l’efficacité de ce programme , estimant qu’environ 700 joueurs soit un tiers des effectifs avaient recours à des produits anabolisants. Soupesée par le laxisme latent des ligues en matière de politique de lutte, l’acceptation à demi-mot des pratiques de dopage reste bien présente au sein de ces sports.

Le baseball professionnel américain évolue désormais dans un sens nouveau, celui de la mise en place de véritables programmes antidopage, et de la reconnaissance officielle de ce problème. Le scandale Biogenesis est tout simplement la nouvelle — et loin d'être la dernière — étape dans la transformation du baseball en un sport dans lequel il est de plus en plus inconfortable de frauder, même pour ceux qui ont remporté les plus grandes récompenses ou qui semblaient destinés à briser tous les records de performance.

* Jay J. Coakley, Sports in Society: Issues and Controversies, McGraw Hill Higher Education